Afrique Centrale -
10 juin 2007
par
CHARLES DJUNGU-SIMBA K.
Deux fois par semaine, j’initie des étudiants en communication à
l’histoire et à l’analyse du cinéma, du théâtre et du livre, au Centre
universitaire de paix (CUP) situé à quelques encablures du poste frontière de
Nguba (République démocratique du Congo). De là, j’aperçois la préfecture rwandaise
de Cyangugu. Un filet d’eau nommé Ruzizi, déversoir des eaux lacustres du Kivu
dans le Tanganyika, sépare officiellement les deux États, mais, de part et
d’autre, c’est le même pays.
L’aéroport
rwandais de Kamembe est à dix minutes en voiture.
Les
Belges l’avaient construit pour desservir la ville congolaise de Bukavu. Sa
fermeture unilatérale par Kigali, lors de l’une de ces nombreuses crises à
répétition entre les deux pays voisins, avait contraint les autorités
congolaises à aménager, à 30
kilomètres de Bukavu, le petit aéroport de Kavumu,
encastré entre deux collines.
Depuis quelque temps, les Rwandais réaménagent leur aéroport et ont
construit des entrepôts pour les marchandises congolaises devant être expédiées
ou dédouanées via l’aéroport de Kamembe.
Côté congolais, on reconnaît volontiers le sens de l’organisation et de
l’ordre, la discipline et le patriotisme de nos voisins. Tout le contraire de
nous autres !
À la frontière, des fonctionnaires congolais véreux vous attendent avec
des quittances datant de l’ère Mobutu. À peine vous êtes-vous échappé de leurs
guichets poussiéreux que des soldats vous interpellent pour exiger leur dîme :
100 francs congolais par passage.
Côté rwandais, rien de tel. Dès que vous avez exhibé votre pièce
d’identité, les agents en faction vous laissent continuer votre chemin. Ici, on
ne badine pas avec l’ordre, et toute tentative de soudoyer un fonctionnaire
vous mène droit dans l’une des nombreuses prisons du pays.
Tout récemment, j’ai retrouvé une vieille connaissance, Athanase. Après
avoir galéré dans l’enseignement, mon ami vient de trouver un emploi des plus
intéressants au Rwanda. Des religieuses hutues qu’il avait aidées à échapper à
une mort certaine au Congo lui ont proposé d’enseigner les mathématiques dans
leur lycée. Il n’a eu guère besoin de réfléchir pour choisir entre son poste au
Congo et l’offre rwandaise. Une semaine sur deux, il revient à Bukavu,
retrouver sa famille.
« Nous qui vivons là-bas, confie-t-il, nous avons une tout autre vision
du Rwanda ! C’est vrai que les blessures du génocide sont loin de s’être
refermées. Mais pour de très nombreux Rwandais, une nouvelle page de leur
histoire a été tournée depuis. Tutsis et Hutus se côtoient à nouveau et si on
ne vous les désigne pas, il est souvent difficile de les distinguer, à première
vue, les uns des autres. Crois-moi, cher ami, le Rwanda d’aujourd’hui n’a plus
grand-chose à voir avec les clichés diffusés par certains médias. Nos voisins
ne sont pas encore au paradis, mais, à tout prendre, ils sont sur la bonne voie.
Ce qui est surtout évident et frappant, c’est leur détermination à tous,
dirigeants et populations, à bâtir un pays nouveau, moderne. »
Je n’ai aucune raison de mettre en doute la bonne foi d’Athanase. Mais
les gens de Nguba, me parlent, eux, de voisins plutôt distants, insaisissables,
rusés et perfides. Et bien qu’ils vantent l’efficacité de l’administration
rwandaise, ils n’accepteraient pour rien au monde de changer de nationalité.
Chaque fois qu’ils en ont l’occasion, ils ne se lassent point de réciter le
chapelet de récriminations.
« Ils nous revendent très cher nos propres produits vivriers, se
plaignent-ils. De la plaine de Ruzizi où nous les récoltons, nous sommes
obligés de les faire transiter par leurs vieilles routes pour atteindre plus
facilement Bukavu. Sur le lac, nos pêcheurs sont régulièrement victimes
d’arraisonnements dans nos eaux territoriales par des bandits armés venant du
Rwanda. »
C’est en direction du Rwanda aussi que les gens d’ici plaçaient jadis les
portes de leurs huttes et cabanes, car c’est de là que, de tout temps, le
danger était supposé provenir …