La Ré-visitation des contrats miniers en RDC
Dans une interview donnée à Congo Horizons il y a quelques
mois et lors d’une Conférence-débat organisée par l’Association de Presse
panafricaine (APPA) au mois d’août de cette année à Paris, j’avais expliqué les
pièges et manœuvres élaborés par le président Kabila et ses proches,
signataires des contrats léonins ; dans le but de saboter les travaux de la
Commission de revisitation institué par le gouvernement et ainsi expurger
l’initiative de sa vraie mission.
L’objectif visé en effet par mes explications était
d’alerter l’opinion publique nationale et internationale sur la duperie du
processus présenté comme salvateur du secteur minier et en réalité malmené par
des dirigeants qui sont juges et parties. Plusieurs médias, ONG et organismes
avaient fait l’échos de tout ce que j’avais mis en exergue. Aujourd’hui, les
enquêtes de Global Witness publiées dans un rapport le 01 octobre 2007 nous
rejoignent. Fort de ce qui précède, la conclusion par le gouvernement congolais
de plusieurs accords financiers avec des groupes chinois gagés sur les
ressources naturelles provoquent de notre part les analyses suivantes :
- Les milliards chinois, nouvelle écharpe de plomb sur nos ressources naturelle
- Depuis quelques semaines, le gouvernement congolais a annoncé une série de prêts de plusieurs milliards consentis par des groupes chinois à la RDC comme une bouée de sauvetage des 5 chantiers promis par le candidat Kabila lors
des élections présidentielles.
S’il est vrai que toute initiative visant le développement de
la RDC doit être encouragée, l’on peut s’interroger si la signature des accords
dont la faisabilité est liée à la seule compensation minière de la partie
congolaise était-elle urgente avant la conclusion des travaux de la Commission
de revisitation des contrats léonins en cours.
Pierre Lumbi Okongo, Ministre d’Etat aux Infrastructures,
travaux publics et reconstruction a précisé à la presse que les « milliards
chinois ne représentent nullement un prêt ni un endettement supplémentaire pour la RDC. Il s’agit par contre d’un préfinancement de grands travaux d’infrastructures et
d’exploitation des ressources naturelles de concert avec la partie congolaise
». En bref, Ces prêts n’en seraient pas uns mais plutôt des préfinancements
(sic) des projets communs gagés sur l’exploitation des ressources naturelles de la RDC. Ces propos aussi simples paraissent-ils, sont pourtant graves de signification au
regard des conséquences de l’expérience des préfinancements dans certains pays
africains.
Le mode de financement dit « préfinancement » est une
technique largement utilisée par les dirigeants des Etats producteurs de
pétrole en connivence avec certaines banques internationales pour s’assurer de
manière occulte et opaque le détournement des recettes découlant des
exportations des produits pétroliers. Comme le décrit Xavier Harel dans son
livre « Afrique pillage à huis clos », le système consiste à concéder ou à
garantir des prêts à un Etat producteur des ressources naturelles dans les
besoins avec des taux d’intérêt astronomiques atteignant parfois les 40 % en
s’assurant des droits sur les productions futures et les gisements encore
enfouis. Les fonds prêtés transitent par une kyrielle de banques et sociétés
intermédiaires qui sont souvent domiciliées dans des paradis fiscaux comme la
Suisse, les Bahamas, les îles Vierges, les bermudes. Ces derniers se rémunèrent
à chaque opération et versent des commissions mirobolantes sur les comptes
off-shore des dirigeants qui leur octroient ce marché lucratif et des organismes
prêteurs.
Si la méthode, comme on peut le remarquer ; est très
lucrative pour ses bénéficiaires (dirigeants politiques et banques), elle est
en revanche très ruineux pour l’Etat et la population.
Vu la complexité des montages financiers auxquels donnent
lieu la technique des préfinancements, Jack Sigolet, l’ancien directeur
financier du groupe pétrolier Elf déclarait à propos de ces pratiques sur le
continent africain qu’ils sont « conçu de telle sorte que les africains ne
connaissaient que la banque officiellement prêteuse et ignoraient tout le
système, rendu particulièrement et volontairement opaque ».
D’ailleurs on le remarque déjà dans le cas des contrats
congolo-chinois délibérément présentés comme accords bilatéraux entre Etats
alors qu’il s’agit apparemment des contrats financiers avec des grands groupes
privés. Au moment de la signature des accords à Kinshasa, la partie chinoise
bien que honorée de la présence de l’ambassadeur chinois en RDC, était
représentée non par un officiel mais par le PDG d’un groupe chinois spécialisé
dans les grands travaux qui a assuré que l’argent proviendrait d’une banque
chinoise. Alors que la partie congolaise était représentée par un Ministre
d’Etat accompagné d’une dizaine de ministres.
Pierre Lumbi se permet de jouer sur les mots en déclarant
que les milliards chinois ne sont pas des prêts supplémentaires car
contrairement aux prêts bilatéraux ou multilatéraux entre Etats ou consentis
auprès des bailleurs des fonds classiques dont les modalités de remboursement
dépendent « souverainement du » budget national ; les préfinancements ciblent
dès le départ les ressources naturelles sur lesquelles vont se grever les
investissements envisagés. Chaque partie s’attelant ensuite à ce que les
remboursements soient prioritaires sur les autres budgets de manière à apurer
les dettes dans un délai record pour ne pas laisser de traces et éviter des
audits extérieurs gênants.
D’ailleurs, les chinois n’ont laissé aucun doute sur leur
stratégie en prêtant cet argent : les milliards financeront les infrastructures
(le chemin de fer Matadi-Ilebo, la route Lubumbashi-Kisangani,
l’autoroute Lubumbashi-Kasumbalesa, …) qui permettront d’acheminer les
ressources naturelles (bois, cobalt, cuivre, coltan, or,…) qu’ils vont s’atteler
à exploiter en guise de compensation. Les entreprises chinoises sont déjà à
pied d’œuvre à cette fin. Le critère principal pour le montage du type
d’opérations en cours entre la RDC et les groupes financiers chinois n’a pas
été révélé par les 2 parties contractuelles à l’opinion publique nationale et
internationale ; il s’agit du taux d’intérêt.
A quel pourcentage la RDC a accepté de rembourser pour
convaincre les groupes chinois à signer les accords financiers ?
Cette question est capitale car les dettes et services de la
dette coûtent déjà 40 % du budget national. Pour des raisons de transparence,
le gouvernement congolais et les groupes chinois devraient publier les termes
de leurs accords et apporter les précisions sur les taux d’intérêts négociés.
Les contrats financiers ci-haut évoqués ont été signés avec
ramdam malgré les propos du ministre des Mines selon lesquels de nouveaux
contrats ne seraient pas conclus avant la fin des travaux de la Commission de
revisitation. Pour comprendre ces contradictions et le vrai état d’esprit du
gouvernement quant au dossier des ressources naturelles, l’analyse du
déroulement des travaux de la Commission s’impose.
2. Composition de la Commission, l’indépendance des travaux
en cause
Le premier critère qui aurait permis à tout observateur même
de mauvaise foi d’évaluer la crédibilité de la Commission était en sus de la
compétence ; son indépendance vis à vis des donneurs d’ordre en prenant
corrélativement appui sur l’argument de transparence d’ailleurs abondamment et
paradoxalement utilisé par le gouvernement pour rassurer l’opinion.
Il est à rappeler que les plus importants contrats miniers
en cause ont été signés sous l’autorité directe du président Kabila et de
certains membres influents du gouvernement de la transition ; reconduits dans
le gouvernement Gizenga. Ces derniers détiennent des intérêts personnels
directs dans l’exploitation des ressources minières tels que les ont révélés
entre autre des rapports de Groupe d’experts de l’ONU sur le pillage des
ressources naturelles de la RDC et de la Commission Lutundula.
Par ailleurs, au lieu de confier la présidence des travaux de
la Commission à une personnalité extérieure indépendante recrutée sur base de
ses qualités techniques, celle-ci est plutôt dirigée par le Directeur de
cabinet du ministre des Mines et est placée sous l’autorité directe de ce
dernier.
Sa composition est aussi problématique car elle comprend de
représentants de la présidence, du premier ministre, du ministère des Mines, du
ministère des finances, des fonctionnaires de l’Etat et des délégués d’autres
ministères. Aucun parlementaire ni représentant des régions minières et de la
Société civile ne fait partie de la Commission.
Lorsqu’on sait combien les membres de la Commission Lutundula,
pourtant dotés du mandat parlementaire, avaient fait l’objet de nombreuses
obstructions et puissantes entraves, voire de graves menaces dans leurs
investigations, l’on peut légitimement s’interroger sur le pouvoir et l’influence
qu’auraient des simples fonctionnaires dont le sort dépend de la seule volonté
des autorités politiques de tutelle.
Au moment du lancement des travaux de la Commission le 11
juin 2007, le ministre des Mines avait affirmé comme gage de sérieux, de transparence
et de clarté des travaux de révisitation des contrats dénoncés que la
Commission bénéficierait de l’expertise de l’Open Society Initiative for
Southen Africa (OSISA), de la Compagnie Benjamin de Rothschild et du Carter
Center. Cette déclaration laissait entendre implicitement que les entités en
question avaient donné leur accord formel pour travailler avec la Commission. L’on
sait aujourd’hui que l’utilisation de la collaboration supposée des organismes
précités était un écran de fumée pour distraire l’opinion et couvrir les
manœuvres qui se tramaient en secret par le gouvernement et le président Kabila
pour maintenir le secteur des ressources naturelles sous une gestion prédatrice
et clientéliste.
En effet, contrairement à la Compagnie de Rothschild, le
Centre carter et OSISA qui sont des associations sans but lucratif ont bel et
bien donné leur accord mais sous certaines conditions pour participer aux
travaux d’évaluation des contrats miniers mis en cause. Le ministère des Mines
leur a confié un nombre déterminé de contrats miniers à propos desquels elles
devraient soumettre une analyse juridique. Les informations publiés par Global
souligne les difficultés rencontrées par ces deux organismes pour mener à bien
leur étude, notamment le délai très limité leur accordé. D’ailleurs, OSISA a
parallèlement financé un groupe d’experts juridiques coordonné par le Forum de la Société Civile
congolaise qui a publié un Rapport accablant à la fin du mois d’août sur 12
contrats miniers parmi les plus controversés.
Quand au cabinet Rothschild auquel le gouvernement voulait
confier l’analyse des aspects financiers des contrats miniers, l’annonce de sa
participation aux travaux de la Commission avait provoqué une levée de bouclier
des ONG congolaises et internationales.
Dans un courrier adressé à Global Witness en septembre 2007,
la Compagnie de Rothschild affirme « n’avoir pour l’instant été chargée des
aspects financiers de l’examen des contrats miniers ni par la République
démocratique du Congo, ni par une quelconque entité publique ou société anonyme
dépendant de la RDC».
Il est à noter néanmoins que le Vice-ministre des Mines
Kasongo agissant sur injonction de Katumba Mwanke et du général Kalume (deux
personnalités lourdement mis en cause dans les crimes économiques par tous les
rapports nationaux et internationaux) avait tout fait pour adjoindre le service
de la Compagnie
Rothschild à la Commission. Les dénonciations très précises d’une
coalition d’ONG congolaises et internationales démontrant les liens d’affaires
entre certaines multinationales incriminées et Rothschild ont fini par faire
reculer le gouvernement.
C’est dans cet ordre d’idées que les pressions exercées par
certains médias et associations nationales et internationales sur le verrouillage
du processus de revisitation ont aussi conduit le gouvernement à associer 5
organisations aux travaux de la Commission comme observateurs. Il s’agit de la
conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), de l’Association nationale
des entreprises du portefeuille (ANEP), de la Fédération des entreprises du
Congo (FEC), du Centre d’études pour l’action sociale (CEPAS) et enfin de l’ONG
Avocats Verts (AV).
Désignés unilatéralement par le gouvernement un mois après
le début des travaux, le rôle de ces observateurs a été réduit à de simples
avis consultatifs lors des réunions des Sous-commissions. Ils peuvent émettre
des commentaires, mais ils n’ont pas le droit d’assister aux séances plénières
de la Commission au cours desquelles les rapports finaux sont adoptés. Par
ailleurs, les observateurs ont dû attendre longtemps avant que le ministère des
Mines mette à leur disposition certains contrats miniers faisant l’objet
d’examen.
Selon Global, les membres de Avocats verts, avocats de
métier et les responsables du CAPAS n’ont pas jugés nécessaires de participer
régulièrement à des séances où les vraies décisions n’étaient pas prises. La
Cenco a fini par claquer la porte de la Commission pour constituer sa propre
Commission épiscopale chargée de la problématique des ressources naturelles. Le
message de l’Assemblée plénière de la Cenco de juillet 2007 intitulé « A vin
nouveau, outres neuves » particulièrement interpellant sur les pillages des
ressources naturelles et le sort des contrats léonins résume sa position à ce
sujet.
Comme chacun peut le constater, la composition de la Commission ne laisse aucun
doute sur sa dépendance et l’inintégrité même du processus de revisitation des
contrats.
3. Déroulement et délai des travaux : manque de rigueur et
d’objectivité
Créée en avril 2007 pour un mandat de trois mois seulement,
ce qui est très peu vu le nombre important de contrats à examiner et les
investigations titanesques que cela requiert; les travaux de la Commission
n’ont été effectivement lancés à Kinshasa qu’au mois de juin. Le Carter Center
et l’OSISA ont tout de suite émis leurs réserves quant au délai de trois mois,
insuffisant à leurs yeux pour précéder à l’examen sérieux de la soixantaine de
contrats retenus au départ par le ministère des Mines.
Fixée au 10 septembre, puis au 25 septembre avant d’être
ramenée à la fin octobre, l’échéance des travaux aurait été tenable si la
Commission était constituée des experts préposés à plein temps. Or comme
expliqué plus haut, tous ses membres occupent des hautes fonctions à plein
temps au sein des cabinets présidentiels, ministériels et au sein de
l’administration.
C'est donc en dehors de leur emploi de temps normal que ces
derniers planchent sur ce dossier aussi épineux et dont les résultats étaient
présentés comme déterminants pour l’avenir du secteur minier en RDC. De l’aveu
même du président de la Commission Alexis Mikandji (voir déclarations
faites à Global Witness), les séances collectives qui se déroulaient souvent
tard dans la soirée étaient marquées par le manque de concentration des
membres, ce qui l’obligeait parfois à écourter les travaux.
Selon les témoignages des membres de la Commission, lorsque
des questions pertinentes étaient posées aux représentants des entreprises
incriminées lors des auditions, les auteurs des questions se faisaient tirer
les oreilles par leur hiérarchie. Du coup, certains ont omis purement et
simplement de donner des avis sur les aspects sensibles et les plus
controversés des contrats examinés par peur de représailles. Les délibérations
sur les circonstances de la signature des contrats, les pistes judiciaires, les
motivations des signataires congolais ( qui sont toujours au pouvoir), à savoir
le président Kabila et ses proches sont escamotés.
L’absence de rigueur dans le déroulement des travaux comme
on peut le remarquer témoigne de l’absence d’une réelle volonté politique de
voir toutes les lumières être faites sur la nature de contrats léonins
dénoncés. Car comment expliquer que parallèlement aux travaux de la Commission,
certains contrats sous examen fassent l’objet des tractations spéculatives et
concurrentielles (l’épisode Boss Mining/Camec, KMC et Forrest par exemple)
directement pilotées par le Président kabila qui tire toutes les ficelles des
dossiers miniers.
Les accords financiers chinois rentrent dans ce cadre et
constituent avec le poids des dettes précédentes, des hypothèques qui vont
peser durablement sur l’économie congolaise et le secteur des ressources
naturelles en particulier. On ne peut que douter que les résultats des analyses
de la Commission de revisitation des contrats miniers servent à quelque chose
dans ce contexte.
Jean-Paul Mopo Kobanda
Juriste - Chercheur
Auteur de « Crimes économiques dans les Grands Lacs Africains »
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