Quand des "aventuriers", sous prétexte de charité,
viennent "s’emparer" d’enfants, les fantasmes sont prompts à se
réveiller. Témoin ce texte du principal éditorialiste du quotidien camerounais
d’opposition.
Le scandale provoqué par une poignée d’aventuriers européens
qui ont affrété un avion pour aller s’emparer d’une centaine d’enfants, sous
prétexte d’action humanitaire, sans droit ni titre, sans morale ni raison, est
à lui seul tout un symbole de la contradiction dans laquelle baigne l’Occident.
Comment comprendre qu’au moment où les portes de tous les
pays européens semblent se fermer à l’Afrique par le biais de législations
infernales contre l’immigration, on nous annonce que, par charité, une centaine de gamins nègres devaient être
accueillis par des familles blanches ?
S’agit-il d’en faire des esclaves dans des maisons closes,
des jouets pour petits Blancs, de la bonne chair pour des fauves de cirque ?
Combien d’enfants ont-ils déjà été victimes de ces rapines, comdes victimes
africaines innocentes dont le seul tort est d’avoir été condamnées à la misère
?
Le gouvernement tchadien a pu stopper l’opération, en arrêtant ces aventuriers
et en confiant les enfants à la garde de l’UNICEF. Mais de quel gouvernement
tchadien s’agit-il ? Celui qui est protégé, supervisé et tenu à bout de bras
par la France ? Bien évidemment, il ne faut avoir aucune illusion : la
libération de ces voyous à qui Dieu a donné la peau blanche sera finalement
arrangée. Ils sont citoyens des pays maîtres qui écument le continent, et le bon
petit soldat tchadien n’échappera pas à la règle.
Sans doute inspiré par les histoires et les images qui emplissent les bulletins
d’informations à travers le monde sur la misère totale du continent africain,
un véritable commerce de la pitié s’est mis en place dans les pays riches.
L’excitation a dorénavant gagné toutes les couches sociales. Il y a ceux qui se
sont assignés pour mission, sans que mandat leur soit donné pour quoi que ce
soit, de sauver des enfants africains traités à tort ou à raison d’orphelins.
Il y a ceux qui se battent pour inventer des programmes de sauvetage, tantôt
pour la Somalie, tantôt pour l’est du Congo démocratique en proie à une
rébellion sans fin, tantôt pour le Tchad et la Centrafrique, où des accords de
paix succèdent aux accords de paix sans jamais faire taire les armes. On se bat
donc partout au nom de l’Afrique.
Mais, et c’est édifiant, on cherche aussi, pour comprendre, pour cadrer, pour
dompter la misère, à donner une couleur aux souffrances, à affecter une religion
à la pauvreté et même à inventer une génétique de la violence. Où
faudrait-il dorénavant orienter les recherches sur les causes de la misère de
l’Afrique ? Faudrait-il continuer dans une critique intellectuelle des systèmes
de gouvernance ou recourir à une étude approfondie des traits génétiques des
peuples africains ?
Le monde ne parle plus que de nous, de l’Afrique. Le monde ne voit plus que
nous comme le problème, la honte éternelle de l’espèce humaine, l’humiliation
des continents, la source de toutes les maladies. Il y a une trentaine
d’années, alors que je résidais à Washington, je découvris un article fort
significatif dans le très sérieux Washington Post, sans doute un des plus
prestigieux et des plus importants quotidiens des Etats-Unis. L’auteur de
l’article, que l’on présentait comme un scientifique éminent, décrivait les
différentes espèces de cafards en prenant soin de mentionner leurs capacités de
nuisance, leur dangerosité et leur origine. Une bonne dizaine de ces bêtes
étaient ainsi répertoriées, provenant de tous les continents. La plus douce, la
plus fine et en même temps la moins nuisible était arrivée aux Etats-Unis dans
les bagages des immigrants européens. La plus nuisible, la plus grossière, la
plus méchante et plus envahissante provenait d’Afrique, importée dans les
baluchons des esclaves.
Avant cela, mon séjour d’étudiant en Occident fut très souvent troublé par les
injures des marchands de sommeil, qui, pour nous refuser la location de leurs
minuscules chambres insalubres, expliquaient que les mets africains étaient
trop épicés et dégageaient une forte odeur, gênante pour les voisins.
Aujourd’hui, en 2007, nouveau siècle, nouveau millénaire, et alors que le
monde a évolué dans toutes les branches de la recherche scientifique, de la
technologie et de l’information, alors que les peuples s’inquiètent de leur
place dans la mondialisation, l’Afrique se voit rappeler brutalement ses
insuffisances. Nous entrons dans la phase finale du procès cruel fait aux
peuples, lequel mettra à mort les continents misérables et les races maudites.
Shanda Tomne | Le
Messager
© Courrier international 2007 | ISSN de la publication
électronique : 1768-3076
Courrier international - n° 888 - 8 nov. 2007 | France